Welcome to the maze
Posté: 05 Fév 2014, 02:04
Le gigantisme de ces tours de verre et d'acier avait toujours pesé sur moi comme si une saloperie de peur instinctive me bouffait les entrailles. Quelque chose qui me susurrait Tu n'es qu'une fourmi, un insignifiant insecte que leur monde glacial et prédateur va écraser avant qu'une seconde ne se soit égrené au sablier de ta misérable existence. Et j'en savais quelque chose. Je revenais de ce monde dégénéré de luxe et de paillettes, plus laid et désabusé derrière les bulles de champagne et les sourires étincelants que le pire bas-fond de cette maudite ville. Je préférais largement le studio miteux dans lequel je me terrais à longueur de journée et les bouges crasseux dans lesquels j'allais téter goulûment du goulot à la nuit tombée en compagnie d'autres déchets dans mon genre, comme aurait dit ma si délicieuse ex-femme, que celle de l'élite que j'avais pu fréquenter durant notre brève et, soyons francs, infructueuse union.
Putain, ce que je pouvais détester Miami. Sans le môme, j'aurais pris mes cliques et mes claques et mis les voiles depuis des lustres. Tout ici — ou peu s'en fallait — puait le pognon et l'orgueil. Presque le moindre des péchés capitaux à s'étaler dans les rues proprettes de cette cité où le culte de l'apparence et l'ivresse du pouvoir restaient, avec celui des sens, les maîtres mots. Personnellement, le choix de me laisser sombrer dans les brumes du stupre m'était apparu comme le plus sensé, quelque part. Toujours plus que celui de passer l'intégralité de ses jours à parader dans un costume cravate dont le prix aurait pu à lui seul nourrir un pays du tiers monde. Sans même oser penser à la montre et aux chaussures impeccablement cirées fatalement vendues avec le pack golden boy accroc aux sommets. Décidément, tout ça commençait à me donner la nausée... Peut-être un vague sentiment de culpabilité. A une époque, moi aussi, j'en avais plus que profité.
Alors qu'est-ce que je foutais au pied de cet immondice à la hauteur démesurée ? Ce foutu colosse paraissait émerger de l'asphalte comme pour me rappeler que mon monde n'avait rien, mais rien à voir avec celui qui s'étalait sous mes yeux et me donnait de plus en plus envie de gerber. Voilà qui n'augurait rien de bon concernant l'entretien pour lequel j'avais finalement décidé de traîner mon cul jusqu'ici. De la curiosité ? Un peu. Qu'est-ce qu'une boîte pareille pouvait vouloir à un artiste déchu dont la chute vertigineuse avait un temps fait les choux gras de toute la presse people. De près ou de loin, le jeu vidéo n'était pas connu pour être mon violon d'Ingres.
Mes autres passe-temps depuis quelques années, en revanche... Ils savaient. Ils savaient forcément. Quand on a les moyens de se payer des bureaux en haut d'une tour de Babel ultra moderne dans le genre et d'observer le ballet de l'univers tournoyer depuis les cieux, on est capable de tout savoir sur n'importe qui. Moi, je voulais savoir ce qu'ils me voulaient au juste. Quelles infos ils avaient aussi. La proposition, ça c'était carré. Concept artist. Ça se tenait. Jouer du crayon et des pinceaux, j'avais su faire. Il fut un temps. Mais je n'avais aucune envie d'y revenir. Peut-être la seule chose que les pontes d'en haut ignoraient encore.
A l'instant où je pénétrais dans le bâtiment après avoir écrasé le mégot de ma clope sur le trottoir sous ma botte au cuir élimé, un des cerbères de la sécurité déboula en travers de mon chemin, apparition monolithique à l'air aussi tendre que le granite. Il faut avouer que je n'étais pas vraiment raccord avec l'endroit niveau standing. Mea culpa, entre mon t-shirt noir à l'effigie de ce bon vieux Jack et son breuvage divin, mon jean déchiré, l'absence plus qu'évidente de passage par la case rasage et peignage et des cernes du plus beau noir bleuté sous mes yeux... j'avais plus l'air du clodo ou du junkie du coin que de l'employé modèle de la prestigieuse Orgone. Pas bien loin de la vérité, en somme.
— Monsieur. On ne passe pas sans autorisation.
Sans déconner. Moi qui me croyait à Disney Land. Encore que même là, faut payer un droit d'entrée.
Je brandit crânement ma lettre de convocation. Entretien d'embauche, du gland. 7H30. D'ailleurs, il fallait avoir un sérieux problème pour déranger les honnêtes gens à une heure aussi indue. Je notais quelque part dans un coin de ma cervelle la première plainte à formuler au sujet des habitudes de fonctionnement la maison. Le décor aseptisé à chier viendrait après. Le type marmonna quelques mots dans son micro oreillette puis de sa voix monocorde, s'adressa à nouveau à moi :
— Attendez ici. Quelqu'un va venir vous chercher.
Dommage. C’eut été plus drôle de me la jouer Alice dans le labyrinthe à la poursuite du lapin blanc. Surtout avec ce que je m'étais mis de poudre dans le nez aux aurores avant de partir pour me motiver à venir jusqu'ici et éradiquer un minimum la gueule de bois qui me vrillait le crane depuis ma nuit trop imbibée de la veille. Un rail somme toute raisonnable, pas question d'arriver totalement défoncé non plus. J'entendais bien piger ce qu'on attendait de moi et essayer de me divertir un peu, quitte à perdre une heure de ma vie dans le genre d'endroit où je m'étais juré de ne plus jamais remettre les pieds. Et justement, les semelles maculées de boues séchée patiemment plantées sur le sol de marbre immaculé, je jouais les statues au beau milieu du hall, mes iris noirs guettaient pour l'instant sans la moindre lueur d'excitation le guide dont on venait de m'annoncer la venue avec une chaleur à congeler sur place la plus chaude des arpenteuses de trottoir.
Restait une petite voix me disant que je ne tarderai pas à regretter de ne pas m'être barré. Le genre d'intuition qu'on écoute jamais, le mauvais génie ayant toujours la voix tellement plus suave pour les indécrottables masochistes que sont les êtres humains. Celle qui vous fait cracher d'amers Si j'avais su, juste pour ne pas admettre que l'aveuglement avait été volontaire. On apprend vraiment jamais rien. Je suivais encore le fil morne et erratique de mes pensées teintées de gris cynisme quand soudain...
Putain, ce que je pouvais détester Miami. Sans le môme, j'aurais pris mes cliques et mes claques et mis les voiles depuis des lustres. Tout ici — ou peu s'en fallait — puait le pognon et l'orgueil. Presque le moindre des péchés capitaux à s'étaler dans les rues proprettes de cette cité où le culte de l'apparence et l'ivresse du pouvoir restaient, avec celui des sens, les maîtres mots. Personnellement, le choix de me laisser sombrer dans les brumes du stupre m'était apparu comme le plus sensé, quelque part. Toujours plus que celui de passer l'intégralité de ses jours à parader dans un costume cravate dont le prix aurait pu à lui seul nourrir un pays du tiers monde. Sans même oser penser à la montre et aux chaussures impeccablement cirées fatalement vendues avec le pack golden boy accroc aux sommets. Décidément, tout ça commençait à me donner la nausée... Peut-être un vague sentiment de culpabilité. A une époque, moi aussi, j'en avais plus que profité.
Alors qu'est-ce que je foutais au pied de cet immondice à la hauteur démesurée ? Ce foutu colosse paraissait émerger de l'asphalte comme pour me rappeler que mon monde n'avait rien, mais rien à voir avec celui qui s'étalait sous mes yeux et me donnait de plus en plus envie de gerber. Voilà qui n'augurait rien de bon concernant l'entretien pour lequel j'avais finalement décidé de traîner mon cul jusqu'ici. De la curiosité ? Un peu. Qu'est-ce qu'une boîte pareille pouvait vouloir à un artiste déchu dont la chute vertigineuse avait un temps fait les choux gras de toute la presse people. De près ou de loin, le jeu vidéo n'était pas connu pour être mon violon d'Ingres.
Mes autres passe-temps depuis quelques années, en revanche... Ils savaient. Ils savaient forcément. Quand on a les moyens de se payer des bureaux en haut d'une tour de Babel ultra moderne dans le genre et d'observer le ballet de l'univers tournoyer depuis les cieux, on est capable de tout savoir sur n'importe qui. Moi, je voulais savoir ce qu'ils me voulaient au juste. Quelles infos ils avaient aussi. La proposition, ça c'était carré. Concept artist. Ça se tenait. Jouer du crayon et des pinceaux, j'avais su faire. Il fut un temps. Mais je n'avais aucune envie d'y revenir. Peut-être la seule chose que les pontes d'en haut ignoraient encore.
A l'instant où je pénétrais dans le bâtiment après avoir écrasé le mégot de ma clope sur le trottoir sous ma botte au cuir élimé, un des cerbères de la sécurité déboula en travers de mon chemin, apparition monolithique à l'air aussi tendre que le granite. Il faut avouer que je n'étais pas vraiment raccord avec l'endroit niveau standing. Mea culpa, entre mon t-shirt noir à l'effigie de ce bon vieux Jack et son breuvage divin, mon jean déchiré, l'absence plus qu'évidente de passage par la case rasage et peignage et des cernes du plus beau noir bleuté sous mes yeux... j'avais plus l'air du clodo ou du junkie du coin que de l'employé modèle de la prestigieuse Orgone. Pas bien loin de la vérité, en somme.
— Monsieur. On ne passe pas sans autorisation.
Sans déconner. Moi qui me croyait à Disney Land. Encore que même là, faut payer un droit d'entrée.
Je brandit crânement ma lettre de convocation. Entretien d'embauche, du gland. 7H30. D'ailleurs, il fallait avoir un sérieux problème pour déranger les honnêtes gens à une heure aussi indue. Je notais quelque part dans un coin de ma cervelle la première plainte à formuler au sujet des habitudes de fonctionnement la maison. Le décor aseptisé à chier viendrait après. Le type marmonna quelques mots dans son micro oreillette puis de sa voix monocorde, s'adressa à nouveau à moi :
— Attendez ici. Quelqu'un va venir vous chercher.
Dommage. C’eut été plus drôle de me la jouer Alice dans le labyrinthe à la poursuite du lapin blanc. Surtout avec ce que je m'étais mis de poudre dans le nez aux aurores avant de partir pour me motiver à venir jusqu'ici et éradiquer un minimum la gueule de bois qui me vrillait le crane depuis ma nuit trop imbibée de la veille. Un rail somme toute raisonnable, pas question d'arriver totalement défoncé non plus. J'entendais bien piger ce qu'on attendait de moi et essayer de me divertir un peu, quitte à perdre une heure de ma vie dans le genre d'endroit où je m'étais juré de ne plus jamais remettre les pieds. Et justement, les semelles maculées de boues séchée patiemment plantées sur le sol de marbre immaculé, je jouais les statues au beau milieu du hall, mes iris noirs guettaient pour l'instant sans la moindre lueur d'excitation le guide dont on venait de m'annoncer la venue avec une chaleur à congeler sur place la plus chaude des arpenteuses de trottoir.
Restait une petite voix me disant que je ne tarderai pas à regretter de ne pas m'être barré. Le genre d'intuition qu'on écoute jamais, le mauvais génie ayant toujours la voix tellement plus suave pour les indécrottables masochistes que sont les êtres humains. Celle qui vous fait cracher d'amers Si j'avais su, juste pour ne pas admettre que l'aveuglement avait été volontaire. On apprend vraiment jamais rien. Je suivais encore le fil morne et erratique de mes pensées teintées de gris cynisme quand soudain...