Orgone
Salles des entretiens d'embauches

Quelle belle journée pour moi, aujourd'hui. J'ai de nombreux rendez-vous, de nombreuses embauches à réaliser et j'aime cela. J'ai ouvert mon ordinateur portable. Mon premier rendez-vous a lieu dans une petite heure.

-- Mademoiselle Castle-Glass ?
-- Oui Marie ?
-- Mademoiselle Stevens sort à l'instant du secrétariat, elle vient d'annuler son entretien d'embauche.
-- Où est M.Lebenton ?
-- Il n'est pas encore arrivé.
-- Parfait, merci Marie. Rejoignez-la à l'ascenseur et souhaitez-lui un bon voyage de la part de la société Orgone. Laissez-lui une carte au cas où elle change d'avis.

Je n'ai pas envie qu'il la croise dans l'ascenseur parce qu'il serait capable de la pourrir et de l'incendier. Ou bien l'inverse... Je ne sais pas. En tous les cas, elle passerait un sale quart d'heure, surtout après le rateau qu'il a mangé hier soir ! Et ce n'est pas ainsi que nous pourrions la recruter de toute façon. Elle correspond parfaitement au profil recherché et je n'ai pas le envie de rater ce recrutement-là. J'attrape l'Ipad et le dernier livre de Stevens avant de me précipiter vers l'ascenseur et l'appelle. Heureusement mon étage prioritaire contraint l'ascenseur à ne pas s'arrêter au quatorzième et à grimper directement au vingtième. Les portes s'ouvrent, je monte à l'intérieur et n'appuie sur aucun bouton. Il faut vraiment que je pense à faire changer cette musique. Je vais mourrir ! Pourquoi pas un Ave Maria tant qu'on y est.

Je vérifie mon dossier. Les portes se ferment, l'ascenseur redescend. Quand j'arrive au quatorzième, j'éteins l'IPad qui me montrait la photo de la fille de Dakota.

Les portes s'ouvrent sur mon rendez-vous.

-- Mademoiselle Stevens, vous tombez à pic, un rendez-vous vient de s'annuler. Un imposteur... Quelle joie de vous rencontrer ! Mon fils ne fait que de parler de vous et je n'ai pas le droit de rentrer à la maison si vous ne m'autographiez son livre ! Il faut vraiment que vous m'enleviez cette épine du pied !

Je l'attrape par le coude et me colle à elle pour lui confier :
-- Ah les ados, vous savez ce que c'est...

Je fais comme si Marie ne m'avait pas prévenu de son désir d'interrompre l'entretien. Je lui force légèrement la main, mais je fais confiance à mes charmes et mon sourire Colgate pour l'amadouer. J'ouvre la porte d'une des salles d'entretien.

-- Oh mais pardonnez-moi ! N'allez surtout pas croire que je vous ai faite venir pour un autographe. Vous méritez bien plus que cela ! Orgone admire vos talents. Je vous en prie, installez-vous ! Avant que je ne vous parle de notre projet, souhaitez-vous boire quelque chose ?

La pièce offre une vue superbe sur la baie de Miami. Les fauteuils sont confortables mais savamment étudiés pour que le mien me donne un peu plus de hauteur que celui de mon interlocutrice. Un bureau dessiné par Stark sépare la pièce en deux. Une affiche sur le mur détourne l'image "I want to believe".



L'image est identique mais le texte est différent. Il est écrit : « I play and believe »

Devant l’ascenseur, je me dis que finalement j'ai bien fait. Je ne me sens pas du tout à l'aise. La question du séjour à Miami est entière. Je me sens mal, mais je rembourserais jusqu'au dernier denier. J'attends patiemment devant ses portes en repensant à ma mère.

Ma chérie, regarde !

Je lève les yeux vers elle pour voir qu'elle a encore ouvert mon courrier. Le mot personnel ne fait pas partie de son vocabulaire ...

La société Orgone te demande de les rejoindre ! C'est la fortune ma chérie !!! Tu vas pouvoir enfin récupérer ta fille !

Elle me tend les billets que je prends silencieusement. Récupérer ma fille ? Elle n'a jamais compris que cela n'avait jamais été mon intention. J'avais seize ans quand je suis tombée enceinte. Quand je l'ai appris j'ai quitté mon petit ami que j’aimai comme une folle. J'avais peur. Peur de sa décision. M'aurait-il demandé d'avorter ? De rester avec lui pour la vie ? Est ce que cela aurait marché ? C'est moi qui est pris la décision pour nous deux. Je l'ai quitté et il n'a jamais su pour sa fille. Pour ma mère, c'était facile de tout lui foutre sur le dos. Les hommes sont ainsi ! Elle s'est faite larguer par son mari et bien sûr, cela n'a jamais été de sa faute ! J'ai décidé d'aller jusqu'au bout de ma grossesse et de faire adopter ma fille. C'est uns très très gentille famille qui l'a accueilli. Une famille tellement gentille que je suis en contact régulier avec elle. Ils savent qu'un jour leur fille voudront connaître leur mère et je me prépare chaque jour à subir son regard. En attendant, je mets de l'argent de côté pour ma fille, même si elle n'en a pas besoin avec sa famille. J'envoie des cadeaux tous les ans pour son anniversaire, je suis une tante qu'elle ne connaît pas. Je suis heureuse pour ma famille et je veux que cela reste ainsi. Cependant, suite aux nombreux assauts, je suis venue ici. Mais, cela me ressemble tellement peu ...

Les portes s'ouvrent et je me fais complètement happé par une femme extrêmement sûr d'elle. Je la suis, emporter par son flot de paroles et de pas et je n'ose trop rien dire. Je lui souris bêtement et je lui fais oui de la tête. Je ne suis pas habituée à ce que l'on sache qui je suis. Je n'ai pas utilisé de pseudo, car je me disais que je ne serais jamais célèbre. Pourtant, ma page facebook continue d'augmenter avec ses fans. J'en suis toujours aussi surprise. Je ne fais que donner des informations sur les dédicaces que je peux donner. Mais c'est assez flippant en fait. Je ne suis vraiment pas préparée à cette "fan-attitude".

C'est gentil, merci.

Je prends place et je me demande comment, encore une fois, je suis arrivée là ? Je voulais partir et me voilà à regarder cette femme en tailleur, respirant la confiance. Et moi, qui tiens ses mains sur la table, nerveuse. J'ai déjà un travail. Je ne veux pas plus.

Non merci, je n'ai pas soif.

Tendu, je l'étais, alors je décide de prendre les devants.

Je vous remercie de m'avoir reçu mais, je ne comprends pas très bien ce que je fais ici. Je n'ai pas de profil informatique. J'ai une page Facebook, mais c'est une page lambda. Je l'utilise vraiment rarement. J'aime le japon, la japanime, les jeux vidéos et j'ai pas mal de console. Et même si je suis toutes les bétas qui sortent en mmo, je ne pense pas que ce soit mon profil de joueuse qui vous intéresse ...

Je n'avais pas de loisir à part la lecture, l'écriture et les jeux vidéos. Principalement les mmorpgs. Je m'inscrivais toujours en béta et je réussissais toujours à toutes les faire. Mais franchement, j'avais beau être au dernier niveau à Guild Wars 2, je ne pense pas que ce soit pour cela qu'il m'ait convoqué. Des gamins étaient nettement mieux placé que moi pour cela.

Je suis vraiment perdue mademoiselle et je ne comprends pas votre démarche.

L’appréhension de Dakota était palpable. Je n’avais pas envie de laisser une occasion à M.Lebenton de m’enguirlander pour ne pas avoir réussi un entretien. Je devais détendre l’atmosphère sans perdre le contrôle de l’entretien.

-- Ma démarche ? répondis-je avec entrain et un sourire aux lèvres.

À peine assise face à Dakota, je me relevai et désignai une ligne imaginaire au sol. Je posai mes pieds serrés de chaque côté de la ligne.

-- Je trace une ligne imaginaire et je pose chacun de mes pieds dessus. Regardez !

Je marchai vers la porte, chacun de mes pas s’alignait l’un devant l’autre. Mes talons chaloupaient légèrement ma démarche sans l’exagérer. J’avais confiance en moi, je savais pourquoi et me doutais qu’à une seconde ou l’autre, le regard de Dakota s’évaderait sur mes fesses, quelque soit son orientation sexuelle, d’ailleurs..

-- Et les hommes ne peuvent s’empêcher de résister à regarder mes fesses.

Toujours dos à elle, je ris avec complicité montrant que je voulais détendre l’atmosphère. Puis je fis une remarquante plus percutante en me retournant pour la regarder de nouveau.

Certaines femmes aussi, d’ailleurs.

Je jouais les chauds-froids. Je voulais la rassurer, mais garder l’ascendant sur elle.

-- Détendez-vous, Mademoiselle Stevens. Je ne vais pas vous manger. Vous venez de résumer en quelques mots les raisons pour lesquelles je voulais discuter avec vous. Culture asiatique et surtout les bétas des MMO. Qu’est-ce qui vous fait vibrer Mademoiselle Stevens ?

La question simple au demeurant méritait pourtant réflexion. Les désiderata de tout un chacun variait. Certains aimaient les sports à sensation, d’autres le cocon du lounge familial. Mais souvent, les candidats l’ignoraient pour ne s’être jamais réellement posé la question. Sans compter qu’après s’être interrogé sur le sujet, il fallait le courage d’accepter la réponse. Difficile par exemple d’admettre qu’on aime rester seul chez soi, le casque sur les oreilles, le nez devant un immense écran pour jouer à un jeu addictif. Les plaisirs sont parfois si simples qu’on craint le jugement d’autrui.

A peine assise qu'elle était de nouveau debout. Je la suivais du regard, attentive d'abord à ses mains qui traçaient une ligne fantomatique, puis à ses pieds, ses jambes et fatalement ses fesses. Et quand elle parla de ses propres fesses, je me mis à rougir et à tourner vivement la tête. Je me sentais prise en faute. Même si c'était logique, se l'entendre dire avec un tel aplomb, c'était déroutant. Je me disais que finalement, j'aurais peut être dû prendre un verre d'eau ! Finalement, je la regardais de nouveau et je fronçais les sourcils. Vraiment ? C'était pour les mmo ? Cela me paraissait si invraisemblable ! Il y avait bon nombre de joueurs, alors pourquoi moi ? Un profil de fille ? Un profil plus mature ? Oui, ok, mais cela serait sans doute un travail de quelques jours, certainement pas plus. Et d'un coup, je posais mes avants-bras sur la table et je me penchais vers elle.

Vous allez sortir un nouveau jeu ? Vraiment ? J'ai entendu parler d'un jeu immersif, voir même d'un réseau immersif. Je suppose donc qu'on ne parle pas que de jeu. De plus, M. Lebenton a laissé sous entendre que le casque était désuet. Je suppose donc que les gants aussi. Parle t'on dans ce cas là de capteur ? D'une réalité où l'on plonge directement au coeur du jeu ?

Oui, j'avais entendu parler d'orgone. Oui, j'étais comme une dingue d'être dans ces locaux et de pouvoir toucher du doigt ces nouveautés. Mais n'empêche, que j'étais réaliste. C'était pas du tout mon univers de travail. Et j'avais trouvé un bon palliatif dans mes romans. Mais je ne pouvais plus m'arrêter de parler, pas maintenant en tout les cas ...

Il y a un anime du nom de Yureka. Les personnes entrent dans une machine qui prends leurs mensurations de manière informatiques. Ensuite, ils s'installent dans une machine ou bien ils s'allongent et ils mettent un casque. Ensuite, ils sont complétement plongés dans le jeu, comme si c'était eux. C'est le rêve de tous joueurs ! Mais si vous dites, pas de casque, est ce que cela veut dire drogue ? Une injection ? Mais si tel est le cas comment ne pas se tromper entre la réalité et le virtuel ?

Bon, je m'emportais complétement dans mes délires. Mais c'était tellement fou !

Ce qui me fait vibrer ? C'est qu'un jour cela soit vrai. Qu'un jour, je sois une héroïne qui lance des boules de feu. Qu'un jour, tout ceci ne soit pas qu'un simple rêve, mais bien une réalité. Qu'un jour, je vive dans le fantastique et non pas dans cette réalité. Mais tout ceci, ce n'est qu'un fantasme. Et ce n'est pas bien de penser ainsi. C'est complètement fou.

Mais mon attrait se voyait clairement maintenant. Si c'était vraiment mon profil de joueur qui les intéressait, alors cela voudrait dire que je pourrais sans doute découvrir de nouvelles contrées bien avant les autres ! Je pourrais sans doute créer mon propre personnage et le faire évoluer en donnant mon propre ressentit pour faire avancer le jeu ? Ce serait juste énorme !

-- Bon bah je n’oublierais pas pendant les phases de tests de ne pas faire le pied de grue devant vous, parce que les boules de feu, ce n’est pas mon truc !

Je souris face à son entrain. Je savais ce qui faisait vibrer Mademoiselle Stevens et désormais, avec tout le respect que j’avais pour elle, l’affaire se conclurait rapidement et même facilement.

-- Oui pas de casque et je vous rassure, en dehors de votre parfum, aucune drogue !

Oui, je lui faisais du gringue, je voulais connaître sa réaction et puis c’était dans ma nature. Je restais évidemment très soft, elle passait un entretien d’embauche et j’étais professionnelle. Dans une boîte de nuit, je l’aurais déjà embrassée pour m’amuser de sa réaction. J’aimais allumer les filles. Allez comprendre pourquoi ? J’avais une très mauvaise opinion de la gente féminine. Je n’étais pas lesbienne. Jamais une femme ne ferait chavirer mon coeur... Et puis une équipe de femmes peut bosser, mais foutez un beau gosse dans le tas et c’est la merde. Des harpies qui tentent de s’arracher le ballon, quand bien même elle refuserait toutes de coucher avec lui, il faut qu’elles ressentent son admiration.

Cessons mes disgressions et revenons-en à l’embauche de Mademoiselle Stevens. Phase deux du plan.

-- Ça vous intéresse de commencer demain ? Un appartement 4 pièces avec vue sur la mer. 4 pièces meublées, ça vous fait un salon, un bureau pour écrire, une chambre et je mandate une société de déménagement pour ramener votre collection de mangas !

Je ne parlais pas salaire. J’étais convaincue que le salaire ne la motivait pas, qu’elle préférait un espace pour vivre ses passions. Volontairement, dans la liste des antis-arguments qu’elle m’avait donnés, je ne précisai pas ce qui me plaisait. Je ne voulais pas qu’elle sache pourquoi nous l’embauchions. Cela faisait partie du jeu, je voulais qu’elle pose des questions, je voulais attiser sa curiosité, laisser une dose de pression et donc d’excitation. Je l’avais vue rougir et j’aimais cela. C’est que nous recherchions.

Oh, j'aime énormément les persos à distance. Mais bizarrement, je ne joue pas archer, je n'y arrive pas. Les invocateurs sont sympas, encore plus de la manière guild wars, en prime on peut être au corps à corps parfois, ça change le game play et c'est vraiment cool.

Je la regardais et je finis par écarquiller les yeux. Mais qu'est ce que je racontais moi ! J'étais dans un entretien d'embauche, que je ne voulais même pas et je discutais avec une RH de ce que j'adorais jouer. Vraiment, y avait un truc que j'avais du zapper. Il y avait vraiment un truc que je ne comprenais pas. Enfin non, pas tant que ça en fait. J'étais dans un temple ici. Pour moi, c'était comme voir Dieu en personne ! Enfin, franchement, quel gamer ne voudrait pas être à ma place ???

Je l'écoutais et je ne compris absolument pas son allusion à mon parfum. Cela me passa au dessus de ma tête. Par contre, le mot demain ...

Je signe où ?

Je la regardais longuement et je finis par entendre ce que je venais de dire. Je me levais d'un bond, faisant tomber ma chaise derrière moi et, embarrassé, je la ramassais.

Désolé. Désolé. C'est que ... Enfin ...

Franchement, ce job, je pourrais même le faire gratis !

On a pas parlé des horaires de travail ni du salaire. Vous pouvez m'en dire plus ?

Je trichais. Je me foutais bien de ces réponses. J'essayais juste de gagner du temps pour comprendre. Pourquoi je ne pouvais pas simplement dire oui ? Enfin, Miami, c'était pas ma ville. Je serais beaucoup plus loin de ma fille, même si je ne la voyais jamais. Je n'étais pas prête à tout laisser tomber comme ça, à changer de vie. Même pour cela ?

Je finis par me rasseoir, complètement estomaqué.

Ecoutez, c'est juste trop beau pour être vrai. Vous savez parfaitement que ce que vous me proposez, c'est le graal pour tous joueurs qui se respectent. Cependant, je ne suis plus une gameuse acharnée. Je n'ai plus le temps. Et des joueurs beaucoup plus talentueux que moi, il en existe partout. Et surtout déjà à Miami. Pas besoin de les faire venir de si loin. J'aurais presque l'impression qu'en vérité mon numéro a été tiré par votre super ordinateur qui contrôle tout, comme dans le jeux de rôle paranoïa.

Je passais une main sur mon front, complètement déboussolé.

On a même pas parlé du jeu. Si ça ce tombe, ce n'est pas du tout mon truc. Vous savez les jeux de plateforme, c'est pas vraiment mon tripe. Les jeux de sport on oublie. Enfin ....

Et je la regardais, perdue. Mes doigts tapotaient sur la table, signe de ma nervosité. Je ne pouvais pas passer à côté de cette chance. Mais c'était juste dingue.

C'est une caméra caché ?

Oui, cela ne pouvait être que cela. Je repensais à ma mère qui avait cru naïvement que je faisais cela pour ma fille. La vérité, c'est que je suivais Orgone depuis que j'en avais entendu parlé comme tout le monde, avec le buzz. J'avais essayé de trouver des infos, je mettais même inscrite à la newsletter. Mais je n'avais jamais osé envoyé mon CV. Pour la simple raison que je n'avais aucune compétence.

Montrez-moi.

J'étais dingue de lui demander. Mais, non, je n'y croyais pas. Et si vraiment il fallait que je quitte cette entreprise, je voulais au moins voir ce que j'allais louper.

Montrez-moi et peut être que je comprendrais pourquoi.

J'étais droite sur ma chaise. Je ne savais pas ce que je faisais ici, mais j'avais un air résolu. Après tout, je n'avais rien à faire là. Alors, je n'avais rien à perdre ? Si, j'étais pessuadée que je louperais quelque chose de grand si je ne restais pas ici.