Orgone
Salles des entretiens d'embauches

Les entretiens se suivaient les uns des autres. Chaque jour de nouveaux visages, chaque jour de nouvelles têtes, chaque jour de nouvelles compétences. Je ne m'ennuyais pas à ce poste car je rencontrais tous les jours de nouveaux candidats. Leur profil étaient différents les uns des autres. Je ne m'ennuyais jamais. Pour les compétences des candidats, je pouvais faire confiance à M.Lebenton. Il se trompait rarement. Ma mission était de trouver des candidats capables de travailler ensemble. Et là résidait toute ma difficulté. Les candidats étaient tous bons. Mais mettez un macho en équipe avec deux féministes et c'est rapidement le drame, surtout si l'une d'elle craque sans raison sur le physique du bellâtre. Je devais donc percer la personnalité profonde de ceux qui me faisaient face. Mes dons m'aidaient beaucoup à la bonne conduite de ces tâches.

Aujourd'hui, c'était autour du geek. Le geek : ce surnom à connotation péjorative illustrait à mon sens le hard gamer, ce joueur qui parvenait à réaliser des exploits, ce joueur qui débutait un jeu et se démarquait déjà de joueurs ayant pourtant des heures de vol à leur actif. Je ne voyais pas dans le dossier de ce geek un boutonneux à lunettes. Mais un testeur fiable ! Il nous en fallait un, rapide, efficace mais surtout discret. Rien de pire dans ce business qu'une grande gueule. Nous avions besoin d'un joueur capable de trouver les défauts des différents jeux que nous voulions sortir, nous voulons immerger le joueur totalement, alors le moindre défaut serait aussi insupportable qu'une verrue au bout d'un nez..

En un sens, ce serait notre meilleur testeur, celui qui pousserait les différents jeux dans leurs derniers retranchements. Je l'appelais et l'observais entrer dans mon bureau. Je l'invitais à s'asseoir et observais professionnellement chaque détail, chaque geste. Mains moites essuyées sur le jean, pâleur du visage, regard fuyant. J'avais besoin d'orgone et j'avais envie de jouer, mais je devais avant tout l'embaucher. Jouer, profiter de l'opportunité ou être professionnelle ? Les anges déchus ont quitté l'Eden pour profiter de la beauté humaine. Je l'ai quitté pour profiter de l'humanité et non de sa seule beauté. C'était pourquoi je portais une robe fuselée,s'arrêtant juste au dessus de mes genoux. Très proche du corps, elle demeurait élégante et se refermait autour de mon cou, ne dévoilant que le grain de ma peau au travers de la dentelle couvrant mes bras.

Pour le déstabiliser, je ne parlais plus. Je l'observais, pris son CV et le parcourus des yeux. Rien de nouveau sur le papier en comparaison de celui déjà récupérer. Je pris le papier et le classa dans son dossier. J'avais l'intention de le mettre à la poubelle pour le déstabiliser, mais il l'était déjà bien ainsi, je n'obtiendrais rien si je le tétanisais.

-- Bonjour Monsieur Twist. Je me nomme Alex Castle-Glass. Mais, je crois que vous êtes plus connu sous le surnom de UltraLorD95 . Quant à moi, je préfère Mademoiselle à Madame, vous voulez bien ?

Je le laissais réfléchir à ce surnom, celui qu'il portait dans Wow, comme dans Lol.

-- Sachez que je ne m'intéresse pas à votre CV. Ce n'est pas lui qui vous a fait décrocher cet entretien d'embauche. Ce sont vos stats sur Wow et Lol. Regardez-moi quand je vous parle, s'il-vous-plait.

Mes yeux ne se détachaient pas des siens quand je prononçais ces mots. Je comptais les secondes.

-- Est-ce que vous seriez intéressé par un poste de testeur sur nos Alpha-versions. Je ne parle pas des versions beta, mais bien des versions précédentes. En somme, nous vous payons pour pousser le jeu dans ses derniers retranchements, nous révéler les failles et surtout là où vous trouvez « qu'on ne s'y croirait pas ». Est-ce que cela vous intéresse ?

L’examinatrice était une femme… C’était une femme… Il allait devoir parler à une femme… Une femme allait l’embaucher… Le stresse montait encore d’un cran. Il murmura un « bonjour MaAaAadame » chevrotant et alla s’asseoir là où on lui demandait. Il mit le CV sur le bureau et regarda ses mains qu’il maltraitait en les tordant et les rongeant de temps à autre. La femme se taisait et le regardait, et il semblait à Guilhem qu’elle observait chacun de ses points faibles pour les retourner contre lui. Elle prit la parole après un long moment pendant lequel le jeune geek semblait fondre sur sa chaise et paniquait de plus en plus. Elle marquait un temps de pose entre chaque phrase, comme pour faire durer le supplice.

-- Bonjour Monsieur Twist. Je me nomme Alex Castle-Glass. Mais, je crois que vous êtes plus connu sous le surnom de UltraLorD95 . Quant à moi, je préfère Mademoiselle à Madame, vous voulez bien ?

Une pose… Guilhem avait le regard fuyant. Il ne voulait pas voir cette femme, il ne voulait pas savoir si elle était belle, et surtout il voulait qu’elle l’oubli et qu’il puisse partir. Il sursauta lorsqu’elle lui dit son pseudo sur LoL et WoW, ainsi que sur plusieurs autres jeux. Comme il aurait aimé avoir l’assurance de son barbare, l’intelligence de certains persos ou l’assurance d’un tacticien romain de Travian ! Mais non, il était là, il ne savait quoi dire à cette Mademoiselle.

--Sachez que je ne m'intéresse pas à votre CV. Ce n'est pas lui qui vous a fait décrocher cet entretien d'embauche. Ce sont vos stats sur Wow et Lol. Regardez-moi quand je vous parle, s'il-vous-plait.

Encore une pose… Guilhem ne pouvait garder les yeux fixés sur quelque chose plus de quelques secondes. Quand il releva la tête, obéissant, elle le regardait droit dans les yeux. Le fait que ce ne soit pas les maigres études inscrites sur son CV qui comptent pour le poste le rassura un peu. Mais juste un peu. Il allait peut-être avoir une occasion de faire ses preuves. Il baissa à nouveau les yeux, il était très gêné par ceux de Mlle Castle-Glass qui le fixaient.

--Est-ce que vous seriez intéressé par un poste de testeur sur nos Alpha-versions. Je ne parle pas des versions beta, mais bien des versions précédentes. En somme, nous vous payons pour pousser le jeu dans ses derniers retranchements, nous révéler les failles et surtout là où vous trouvez « qu'on ne s'y croirait pas ». Est-ce que cela vous intéresse ?

Elle s’arrêta. Elle attendait une réponse. Elle attendait que lui parle. Il resta silencieux pendant une minute complète, repensant aux différentes phrases qu’il avait préparées pour l’occasion. Il en choisit une qui lui semblait appropriée et se lança. Il parla d’une traite, très rapidement, encouragé par cet espoir d’un job aussi génial :

-Cela m’intéresserait beaucoup Mademoiselle et je peux vous dire que j’ai une grande expérience dans tout ce qui est univers vidéo-ludique. (Il lui sembla après l’avoir dit que cela sonnait faux, mais il continua tout de même). Je pense être… (Il marqua une pose hésitante) parfait pour ce travail très complexe de test de ce nouveau concept.

Il releva la tête avec hardiesse, croisa le regard de la femme, et honteux, baissa le regard vers ses mains moites.

Il ne faisait aucun doute que je troublais mon hôte. Cela m’amusait énormément et je comptais bien en profiter. Ce n’était pas gentil de ma part. Mais après tout, j’avais déçu Dieu au point d’être une Déchue, non ? Ses yeux ne supportèrent que quelques secondes le poids de mon regard. J’adorais cela. Je pense que j’allais m’amuser avec ce jeune homme. Le pauvre n’allait pas finir de rougir. Mais encore fallait-il qu’il parle.

Je dus attendre une minute avant qu’il n’ouvre la bouche. L’entretien serait malheureusement très court, il acceptait déjà. En même temps, vu son CV, les jeux vidéos l’intéressaient bien plus que les cours de philosophie ou de mathématiques. Que je le comprenais !

-- Parfait ? Nous verrons bien cela à l’usage. riais-je devant ce mot si plein d’assurance.

Quelle curiosité ! Il n’osait pas me regarder. Ses yeux se posaient sur tout et n’importe quoi, sauf sur moi. Et à côté de cela, il osait dire être parfait. Cet homme manquait d’assurance, mais dans les jeux vidéos cela devait être tout l’effet inverse.

Bien, bien, bien… Comment continuer ce petit jeu avec lui ? Mes yeux ne le quittaient pas, mais comme il ne me regardait pas, il ne pouvait pas s’en rendre compte. Je sortis un contrat prérempli avec son identité. Marie l’avait préparé avec attention comme à son habitude. Je lus le contrat et arrivait au point du salaire.

-- Combien pensez-vous mériter pour un tel poste, Monsieur Twist ?

Je me demandais ce qu’il allait répondre. J’étais très curieuse de savoir comment il négocierait son salaire. Je retournais le contrat et le lui présentais. J’avançais ma main vers lui en tendant le contrat, mais ses mains n’étant pas sur la table, je ne pouvais même pas jouer le contact involontaire. Dommage !

-- Alors Monsieur Twist ?

Son interlocutrice semblait prendre un malin plaisir à l'observer avec attention alors qu'il était visible qu'il n'aimait pas cela. Et même pas du tout. Il pouvait sentir son regard alors qu'il avait les yeux rivés sur ses mains. Elle lui lut ensuite son contrat à voix haute mais Guilhem écoutait à peine. Il était obnubilé par sa peur, sa frustration de ne pas pouvoir montrer ce qu'il valait et son impatience que tout cela se termine. Il ne sortit de sa torpeur éveillée que lorsque la femme lui posa la question de son salaire :

- Combien pensez-vous mériter pour un tel poste, Monsieur Twist ?

Il ne savait pas. Il ne voulait pas en discuter. Il se souvint de la discussion au sujet de l'entretien qu'il avait eue avec son père, quelques jours auparavant. Son paternel lui avait dit, à propos du salaire :
"Ne sois pas trop dur pour le salaire Guilhem ! Si cette grande firme te prend ce sera déjà un exploit alors ne te perds pas à cause de ça. Mais sois ferme ! Il ne faut pas qu'ils t'arnaquent !! Pour un poste de testeur sans étude, tu vaux plus que le SMIC. Mais demande toujours trop, on sait jamais. Enfin déjà faut que tu sois pris..."

Etre ferme... Dur devant le regard qu'il imaginait implacable de la jeune femme. Mais il avait aussi peur de la réaction de ses parents s'il était sous payé. Il se rendit à ce moment compte qu'il était presque embauché, qu'on allait lui faire signer un contrat ! Ils étaient donc intéressés par lui, le presque ado sans aucune vie sociale autre que League of Legends ! Il reprit un peu d'assurance et décida d'enfin regarder en face et observer son interlocutrice. Avec un effort énorme de volonté, il leva les yeux et rencontra ceux de l'embaucheuse. Elle était belle, encore jeune malgré une trentaine d'année et un corps de Top Model. Avec de belles formes généreuse, ne put s'empecher de noter le jeune homme. Guilhem rougit un peu plus face au canon qu'il avait en face de lui en pensant à la carrure de gringalet qu'il devait avoir. Le jeune geek ne se rendait pas compte que sous ses boutons et son air mal rasé, la timidité qui ressortait de lui avait plu à des filles jusqu'à présent. Mais comment approcher et discuter avec quelqu'un qui ne parle que jeux vidéo et fuit toute présence féminine ?

Mlle Castle-Glass le ramena à des pensées plus concrètes, son salaire. Il devait se dépêcher de répondre, ne serait-ce que pour garder son assurance faiblissante :

-4500 dollars par mois.

Il le dit avec assurance mais n'avait aucune idée de ce que cela représentait vraiment. Il espérait que cela passe, et même peut etre qu'elle propose plus. Il continua à la regarder pendant quelques dizaines de secondes puis repris l'observation de ses mains. C'était plus simple et il était très gêné de son air moqueur. Il n'aimait vraiment pas cette femme belle et cruelle.